À quoi ressemblera le NLP futur ? - Partie 1/2 - Test de Turing, IA faible et IA forte

02-01-2019   •   5 min de lecture

Nous savons les IA à l’heure actuelle limitées : cantonnées à des sous-domaines de spécialité, ne pouvant maîtriser nos codes, raisonner, ni communiquer de façon naturelle. On parle ainsi d’IA “faibles”. Au contraire, une IA “forte” serait une puissance dotée de capacités cognitives, capable d’appréhender notre univers dans sa totalité et de produire dans n’importe quelle situation des réponses adaptées.

Mais demain, si le dialogue s’instaurait, les machines parvenaient à imiter l’homme ? Nous allons nous demander à quoi pourrait ressembler une IA forte, en commençant par revenir sur les débats autour de la théorie de l’Imitation Game.

Voici une réflexion en deux parties sur le NLP du futur – inspirée par les discussions scientifiques, les projets des startups les plus innovantes et des GAFAM, des utopies et dystopies empruntées à la littérature et au cinéma.

 

Le test de Turing, et après ?

Nous avons présenté le Test de Turing dans notre Introduction au NLP comme une “frontière”, séparant le domaine des machines de celui des hommes. La réussite d’une IA au test de Turing suffirait-elle à établir la preuve irréfutable d’un changement de paradigme ?

●  Sens sans conscience

En 1980, John Searle, philosophe analytique américain spécialiste du langage, publie un article polémique dans la revue Behavioral and Brain Sciences. Pour critiquer la théorie de l’Imitation Game de Turing, sa démonstration prend la forme d’une analogie. Il relate une expérience imaginaire, celle de la “chambre chinoise”.

Source : Éditions de Minuit

Dans cette expérience, Searle décrit deux individus communiquant dans une langue étrangère que ni l’un ni l’autre ne connaît. Chaque individu suit les instructions d’un manuel. En extrapolant le scénario, le philosophe met en évidence les limites cognitives de la machine.

Quelle que soit la complexité des calculs et réseaux pour interpréter le langage, la machine ne pourra jamais en effet véritablement le comprendre. Ce n’est qu’un simulacre d’intelligence qu’elle représente.

● Deux objections

Les chercheurs partisans d’une IA forte dotée de capacités cognitives opposent deux arguments à Searle.

En premier lieu, pour que le sens advienne, il ne s’agit pas de considérer des éléments isolés – processeurs ou neurones. L’émergence de la cognition a lieu à l’échelle du tout, du système. Ainsi les chercheurs symbolistes et connexionistes, essaient-ils de reproduire le fonctionnement neuronal humain en explorant deux voies. D’une part, avec des circuits virtuels (algorithmes), d’autre part avec des circuits artificiels (hardware bio-inspiré).

Il s’agit en second lieu de travailler à interconnecter différentes “ontologies” (les systèmes de représentation et d’interprétation des signes). L’objectif est d’unifier les micromondes des IA, pour constituer des IA renforcées, dotées d’une compréhension élargie. La combinaison entre l’approche statistique et l’approche linguistique représente un enjeu clé.

 

Fantasmes de l’IA faible à l’IA forte

À l’heure actuelle, l’IA faible est en expansion.

Source : Real Humans, Lars Lundström

● Expansion 

Soignants, assistants, collaborateurs, love dolls. On peut se représenter différents scénarios dans lesquels des IA faibles, incarnées ou non dans des robots réalistes, nous assistent et nous tiennent compagnie – tels les Hubots de la série Real Humans. C’est déjà le cas, quoique de façon moins spectaculaire, dans de nombreux domaines de la vie professionnelle et personnelle.

● Communication 

Quel type d’échange, avec ces IA faibles ? George Orwell, dans 1984, imagine le “Newspeak”, langage appauvri, utilitaire. On pourrait imaginer une pratique communicationnelle de cet ordre avec les machines. D’un autre côté, un langage sensible, ouvert, nourri par l’humour et la sensibilité, réservé aux humains.

Il ne faut pas ignorer le risque dès lors que notre langage, notre pensée, s’appauvrissent à leurs tours. Les chercheurs mettent en effet en lumière l’influence réciproque de l’homme et de la machine dans le processus de transition technologique.

Si nous façonnons les IA à notre image, elles aussi nous façonnent, transformant par adaptation nos cerveaux, notre rapport au monde, nos biais cognitifs. Nous dirigeons-nous vers un monde dans lequel les humains ressembleront de plus en plus à des machines, les machines de plus en plus à des hommes ?

● Ghost in the machine

Supposons maintenant qu’une IA forte dotée d’une activité cognitive puisse advenir. Quelle place pourrait-elle avoir dans nos vies ? Que pourrait être cette IA forte ? Une intelligence capable de nous accompagner dans tous les moments de la vie, de palier à nos faiblesses, de cerner et d’assouvir nos désirs, de décupler notre connaissance et notre perception du monde ? Une IA à notre ressemblance ou différente ?

Il faut distinguer entre simulacre et réel. On peut supposer que la Vallée de l’étrange s’aplanisse  rapidement (il est déjà possible à des IA de composer à partir de banques d’images des visages à l’apparence parfaitement humaine – les deepfakes). Pour autant, de tels robots nous ressemblant trait pour trait, auxquels nous nous attacherions parce qu’ils nous ressemblent, n’auraient pas une once d’humanité.

La question de la possibilité, pour les IA, de développer une conscience – une singularité, en termes plus actuels -, hante la science fiction. Depuis Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley en 1816, le fantasme démiurgique, teinté d’hubris, de créer une machine humaine nous obsède.

C’est la frontière qu’explore Westworld (2016). Cette série présente l’accès à la conscience, puis la rébellion, d’IA animant des corps façonnés pour servir les plaisirs dans un parc de loisir rétro-futuriste, façon conquête de l’Ouest à la fin du XIXe siècle.

Source : Westworld, HBO

 

Finalement, notre paysage risque d’être envahi par des IA faibles de plus en plus perfectionnées, dans nos chatbots, nos assistants virtuels, les robots qui nous accompagnent. Ce nouveau rapport au monde aura des conséquence sur notre fonctionnement cérébral : nous allons nous adapter aux IA.  Enfin, la recherche d’une IA forte appartient pour l’instant au champ de la science fiction, mais est bien la nouvelle quête du Graal pour le XXIe siècle.

Dans la Deuxième partie, nous nous intéressons au cerveau, qui pourrait devenir, après l’écran et la voix, l’interface du futur. Et nous nous penchons sur quelques problèmes éthiques soulevés par notre proximité avec les IA.

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